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Changer d'emploi est devenu plus fréquent chez les nouvelles générations, incluant des demi-tours parfois radicaux. État des lieux.

Millenials

Interrogez vos parents au sujet de leurs expériences professionnelles : à quelques exceptions près, nombreux ont fait carrière dans la même filière, voire au même poste. Issus en grande partie de la génération des baby-boomers d'après-guerre, ils ont grandi dans une période où le chômage ne menaçait pas. Et ils seront aussi prompts à vous faire remarquer que "les jeunes d'aujourd'hui ne connaissent pas la valeur travail".

Mais pour les générations plus jeunes, qui se classent aujourd'hui dans la fourchette d'âge des 18-30 ans, trouver un emploi n'a jamais été aussi difficile. Selon l'OCDE, 25% des 15-24 ans en France étaient en recherche d'emploi en 2016. En cause, l'allongement des cursus universitaires qui cause la multiplication des formations qualifiées et envoie même des Bac+5 dans les rouages de Pôle Emploi, doublée d'une conjoncture économique peu favorable à l'embauche.

Cependant, au-delà de ces raisons rabâchées à tort et à travers par les médias, on est en droit de s'interroger également sur les circonstances "générationnelles" qui pourraient pousser les jeunes à changer d'emploi régulièrement. Une récente étude du Céreq, portant sur les premières années d'activité des jeunes diplômés en 2013, trouve qu'ils sont en moyenne 29% à enchaîner trois (ou plus) séquences d'emploi dans les trois années suivant leur sortie de l'école, ce qui n'épargne pas les formations qualifiées (37% des Bac+2, 24% des Bac+5).

Là où la sécurité de l'emploi n'est pas assurée, il est en effet paradoxal de constater que les jeunes diplômés quittent leurs jobs de plus en plus tôt (après 16 mois en moyenne) tandis que leurs aînés, pourtant assurés de retrouver un emploi, préféraient la stabilité professionnelle. Les générations neuves seraient-elles donc "instables" professionnellement ?

La volonté d'assouplir sa carrière et de la faire concourir à des objectifs personnels peut rentrer en ligne de compte. Si nos parents avaient fait le choix de dévouer leur carrière à la génération d'un revenu régulier pour faire vivre leur ménage, sans pour autant attacher tant d'importance à leur émancipation professionnelle, cette dernière gagne du terrain chez les jeunes. Le bien-être au travail, la conjugaison harmonieuse entre vies pro et perso, les afterworks entre collègues, les événements réguliers de team building... sont l'apanage d'une société plus jeune aux revendications plus abouties en termes d'emploi. Leurs aspirations professionnelles couvrent par exemple bien moins la seule volonté d'élever une famille, en témoigne le décalage entre l'âge auquel une femme avait son premier enfant en 1974 (24 ans) et aujourd'hui (28 ans et demi en 2015). En contrepartie, les jeunes générations aspirent davantage à un travail qui fait écho à leurs convictions personnelles, entraînant avec elles le boom de l’économie sociale et solidaire observé depuis une vingtaine d’années.

Par ailleurs, trouver un emploi de remplacement s'est trouvé simplifié par le recours aux nouvelles technologies. Les méta-moteurs de recherche d'emploi (Indeed, Pôle Emploi, Apec...) et les réseaux sociaux professionnels (LinkedIn, Viadeo...) ont le vent en poupe, et publient quotidiennement des centaines de nouvelles offres, pouvant être triées en fonction des exigences/formations de chacun. De leur côté, 9 employeurs sur 10 scannent aussi les profils sociaux des candidats potentiels. Tous ces facteurs contribuent à faciliter le processus d'embauche, troquant la chasse (chronophage) aux annonces dans le journal contre l’immédiateté des candidatures en ligne et des entretiens Skype. Et en attendant de tomber sur l'offre idéale, les chômeurs peuvent se réconforter des allocations qui leur sont proposées au sein d'un système en vigueur depuis 1959 et qui vise à se perfectionner.

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Facilitée par l'essor des réseaux de transport et de communication, l'ouverture sur le monde a su également jouer un rôle prépondérant dans la mobilité professionnelle des générations neuves. Il est de nos jours beaucoup plus facile de s'expatrier professionnellement qu'à l'époque précédente. L'abondance de programmes d'échanges, de stages à l'étranger, de VIE... donne à de nombreux jeunes diplômés les clés d'un marché de l'emploi bien plus large. Et la croissance des opportunités professionnelles entraîne, naturellement, une fidélité moins importante envers l’employeur. Cette fidélité, justement, héritée des mouvements paternalistes des XIXème et XXème siècles, est aujourd'hui largement ébranlée.

Dans un contexte d'embauche limitée, les employeurs peuvent se permettre des salaires plus bas et des bénéfices moins accrocheurs pour recruter ; en retour, les nouveaux venus ne leur accordent pas une confiance absolue. Sans doute les jeunes générations entraînent-elles dans leur sillage une volonté d'émancipation, de liberté assumée, qui tâche de se défaire du joug du patronat. Les codes des start-up – événements extra-professionnels, casual fridays, redéfinition du dresscode, aménagement de l'espace de travail plus confortable et fun – sont autant de ruptures par rapport au monde de l'emploi "traditionnel", ancré dans des valeurs de rigueur, d'efficacité et de mesure.

Serait-il même légitime de parler d'insouciance, voire même de légèreté, en ce qui concerne les mentalités "jeunes" au travail ? Ces dernières semblent se faire l'écho de la célèbre interrogation de Mai 68 : "Pourquoi perdre sa vie à vouloir la gagner ?" et revendiquent une relation d'égal à égal entre l'employeur et l'employé, le premier garant de rémunération et d'une bonne ambiance de travail, le second facteur d'initiative, de créativité et d'efficacité. Lassés des codes modernes de la "bienpensance" professionnelle, certains vont même jusqu'à faire prendre à leur carrière des revirements à 360 degrés. Selon un rapport récent du réseau social professionnel LinkedIn, les Millenials (l’équivalent américain de notre Génération Y) seraient 50% plus enclins à se relocaliser professionnellement et 16% plus disposés à changer de secteur d’activité que leurs aînés. Un dénominateur commun pour nombre en reconversion professionnelle : la création de leur propre entreprise. Et les exemples sont légion : Marino, ancien cadre chez PSA, devient sculpteur sur pierre ; Camille, ex-community manager, s’improvise crémière ; et une certaine Caroline Vigneaux « quitte la robe » d’avocate pour remplir les salles de spectacle…

Bien entendu, la rupture n'est pas totale entre les nouvelles et les anciennes générations de travailleurs. Certains employés d'antan ont pu enchaîner plusieurs boulots dans des contextes variés, tandis que de jeunes diplômés signeront aujourd'hui un CDI qui les portera calmement jusqu'à leur retraite. Mais une véritable modification sociologique de l'emploi est en marche, portée par des jeunes empreints de liberté, de créativité et de mobilité internationale, assistés par des moteurs de recherche d'emploi plus perfectionnés et mieux maîtrisés. Tous ces facteurs accouchent d'un paysage de l'emploi en constante évolution, qui en appelle à de nouveaux comportements au travail. Les générations neuves, moins effrayées par le spectre du chômage, sont déterminées à s'accomplir professionnellement même si elles doivent pour cela multiplier les essais et évacuer toute approche carriériste.

Certains modèles innovants de ressources humaines, ayant vu le jour au sein de start-up de renom ou dans le laboratoire de la Silicon Valley, ont cherché à combler les aspirations des jeunes au travail. En tête du mouvement, Google qui accorde à ses employés 20% de leur temps de travail pour se consacrer à leurs propres projets, ou bien Virgin offrant à sa main d'œuvre des congés illimités... Porté par de tels fers de lance, le paysage de l'emploi et de la GRH est amené à se moderniser, afin de s'assurer la stabilité des effectifs jeunes. Finalement, le changement d'emploi régulier n'est pas tant une marque d'insatisfaction au travail que la représentation d'ambitions plus abouties pour les nouvelles générations, visant toujours plus haut.

Nicolas Mera


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